jeudi 5 décembre 2013
Les eaux troubles de Jane Campion
Il y a fort à parier que les six heures de Top of the lake, la mini-série de Jane Campion ont laissé du monde en chemin. Personnages barjots, lenteur de l'intrigue, climat souvent oppressant, c'est sûr, on n'est pas dans 24 heures chrono. Tant pis pour ceux qui s'immergeront pas jusqu'au bout dans cette intrigue policière située en Nouvelle-Zélande, le scénario réserve pourtant des rebondissements jusqu'aux ultimes minutes. Mais c'est davantage la singularité de la série qui marque. La réalisation, d'abord, servie, c'est vrai, par des paysages impressionnants, mais où l'on retrouve la patte d'une vraie cinéaste. Les personnages, surtout, portés par un jeu d'acteurs de haute volée : Peter Mullan est génial et flippant, Holly Hunter charismatique et Elisabeth Moss, déjà vue dans Mad Men, campe ici avec magnétisme une inspectrice - le rôle principal - à la trajectoire sombre et complexe. Toute cette micro-société s'agite autour d'un fait-divers - une jeune fille enceinte de 12 ans, Tui, est sur le point de suicider, puis disparaît -, qui va révéler les ombres effrayantes du passé avant de dévoiler un présent tout aussi sordide. Le vrai bonheur de Top of the Lake, c'est la liberté que s'autorise Jane Campion, laissant émerger des séquences bien déjantées dans cette intrigue pourtant bien construite. Ce qui explique le tempo parfois lent, les détours dans la narration et quelques scènes incongrues. Au final, une œuvre accomplie et très originale qui n'a pas fini de trotter dans nos têtes.
mercredi 6 novembre 2013
Big deal !
Il y a des moments qui relèvent de l'évidence. Certains disques, par exemple, dont la première écoute nous fait tout de suite sentir qu'on tient une vraie perle. Le second album de Melanie de Biasio relève de cette catégorie et la seule chose que l'on puisse craindre, c'est de trop l'écouter et éventuellement de s'en lasser, car hélas il est très court. Une voix que l'on qualifiera de jazzy mais ça n'a sans doute que peu de sens : il y a surtout chez cette musicienne venue de Belgique (elle est aussi flûtiste) une intensité et une profondeur qui échappent à toute tentative d'étiquetage. Sa musique fonctionne de façon circulaire, certains morceaux semblent se répondre et enveloppent l'auditeur d'un halo légèrement mystérieux, mais pas trop. C'est la force aussi de ce disque : il est simple, sans fioritures ou maniérisme. Ultra-recommandé, donc, mais à consommer avec modération pour faire durer l'instant…
samedi 19 octobre 2013
Un peu léger, Mister Tellier
Après le délirant et relativement indigeste My god is blue, Sébastien Tellier revient à un exercice plus convenu avec un album quasi-instrumental, Confection. Plus sobre, pas du tout electro, mais quand même sur des terres très familières. Tellier est rompu au jeu d'équilibriste entre kitscherie et mélancolie, il y plonge une fois encore, mais sans grande conviction, semble-t-il. Eternels relents gainsbouriens, clins d'oeil à François de Roubaix, tout cela, on connaît par cœur, à tel point qu'à plusieurs reprises, on croit entendre La Ritournelle au long de ce court disque. Seul détonne un morceau, le très vilain Waltz, qui a le mérite d'hérisser le cheveu. Plaisant si on est prêt à se contenter de peu, sinon, pour du Tellier inspiré, prière de revenir dix ans en arrière.
mardi 15 octobre 2013
Un livre agaçant
Un peu compliqué de parler de ce bouquin. Son auteur, Alizé Meurisse, a plusieurs cordes à son arc et évolue dans la nébuleuse rock arty. Neverdays a toutes les raisons d'agacer, entre sa prose trash et sa pose hipster, ses tics de forme (toutes ces phrases en anglais balancées comme ça), sa thématique un peu pénible (un acteur célèbre, lassé de son image, usurpe une nouvelle identité en s'injectant des doses d'ADN…). Normalement, j'aurai balancé le livre au bout de cinquante pages, mais je l'ai lu jusqu'au bout. Parce qu'une fois l'agacement passé, on réalise que cette fille, - c'est son troisième roman - sait écrire, que ses formules faciles dissimulent d'autres talents dans l'art de jouer avec les mots. Que son propos, à défaut d'une franche originalité, ne sonne au final pas creux. Enervant, mais peut-être pas si gratuit.
dimanche 22 septembre 2013
Winter games
Je ne vous raconterai rien de la rentrée littéraire car Esprit d'hiver, de l'américaine Laura Kasiscke, est le seul bouquin que j'en ai lu pour l'instant. Le seul, mais quelle lecture… On ne sort pas absolument indemne de ce huis-clos hivernal, une plongée assez effrayante dans l'esprit d'une femme un jour de Noël. Un blizzard pas possible souffle dehors et Holly, levée tard, se retrouve seule avec Tatiana, sa fille adoptive de quinze ans. Son mari, parti chercher ses parents à l'aéroport, tarde à revenir et les invités se décommandent peu à peu, livrant à Holly à un tête-à-tête flippant avec sa fille, dont le comportement vire à l'étrange. C'est un peu Shining sans l'hôtel et sans Jack Nicholson, mais le flip, très cérébral, est réel et le dénouement remarquable. Excellent.
jeudi 12 septembre 2013
Hawaï ou ailleurs
On a toujours bien aimé les Belges de Girls in Hawaii. Groupe noisy-pop assez subtil, capable de belles envolées mélodiques, lointains cousins de Grandaddy, formation assez sobre aussi, aux antipodes de leur patronyme exotique. En retrait depuis quelques années, endeuillé par la disparition accidentelle de son batteur en 2010, le groupe refait surface à travers Everest, brillant nouvel album qui ne frappe certes pas par sa gaité, mais recèle de pépites pop qui méritent un peu d'investigation. L'un des meilleurs disques de cette rentrée.
lundi 9 septembre 2013
Wrong cops
Bon, bien sûr, Quentin Dupieux n'aura pas tous les jours l'idée qui tue. Rubber, dévoilé voilà deux ans, avait marqué les esprits avec son pitch absurde : bâtir une histoire centrée sur un personnage de… pneu. Le miracle, c'est que cela marchait et le film, avec son budget poids plume, a connu le succès que l'on sait. Depuis, que ce soit avec Wrong (un type perd son chien) ou le nouveau Wrong Cops (des flics sales et méchants maltraitent leur entourage), on ne s'embarque certes pas dans des histoires insensées. Pas vraiment de scénario, plutôt des successions de scènes où Dupieux installe son univers, soit une Amérique désincarnée où l'absurde le dispute au sordide. Le tout traité avec l'humour qu'on connait, un sens du rythme très particulier (ici la lenteur de certaines scènes contraste avec la musique très saccadée de Mr Oizo) et une esthétique toujours très décalée et épurée. Pas du grand cinéma, sans doute, mais des séquences jubilatoires et une conception de la chose cinématographique définitivement ovniesque. Stimulant !
mercredi 7 août 2013
Un zeste de pop ?
La pop française a les yeux dans le rétroviseur et comme une envie de s'amuser. Après Granville, qui lorgnait du côté des yéyés, les Bordelais de Pendentif ont posé leurs valises dans les eighties. Un son clin d'œil, mais des références pas trop appuyées sur ce premier album, Mafia douce, qui trouve le juste équilibre entre une certaine candeur et un song-writing efficace. Sans prétention, Pendentif décline sa pop enjouée, avec pour points d'appui les singles déjà repérés depuis quelques temps (Embrasse-moi, Jerricane), mais aussi d'autres beaux moments, à l'image du dernier titre, La nuit dernière. Percutant et rafraichissant !
mardi 6 août 2013
Jurassic grunge
Tout ado qui se respecte, même en 2013, devrait au moins avoir écouté un jour Dinosaur Jr. Pour la tronche de son chanteur et guitariste, Jay Mascis, branleur talentueux comme seuls le rock et la BD peuvent en produire. Il pourrait sortir tout droit aussi d'une planche de Crumb. Mais il faut écouter Dino pour sa musique, bien sûr, et ça tombe bien car on fête les vingt ans de Where you been, le meilleur album de ce groupe vaguement culte, mais au final largement sous-estimé. Les dessins débiles (de l'art brut ?) de Jay Mascis, qui ornent souvent les pochettes d'album du groupe, ne doivent pas masquer un sérieux talent de songwriting et une tonalité folk/grunge assez unique. Le chant lancinant de Mascis porte cet album magnifique au travers d'une belle diversité d'émotions. Et ce qui semblait parti pour ne ressembler à rien finit par avoir une petite tête de chef d'œuvre. A (re)découvrir.
lundi 29 juillet 2013
Buenos Aires caliente !
Difficile, depuis quelques semaines, de passer à côté de La Yegros, cette chanteuse argentine dont le premier album Viene de Mi, est sorti en juin dernier. Un single éponyme et pétillant trotte depuis des mois, sur Nova notamment, et contribue grandement à la réputation de la demoiselle. Etiquetée chanteuse de cumbia, La Yegros est en fait plus que cela. Son projet s'inscrit dans une mouvance musicale qui met le feu à Buenos Aires depuis quelques temps, sous l'impulsion de l'excellent label ZZK : une relecture de vieux genres musicaux (cumbia, chamamé…) dopés à l'electro. Un peu comme Gotan Project avec le tango, mais en beaucoup plus joyeux et vitaminé ! Plusieurs compils, dont Future sounds of Buenos Aires, se sont déjà faites le témoin de cette scène très active et festive. On y retrouve, aux côtés de l'inspirateur King Coya, des groupes ou artistes tels que Tremor ou Fauna. De quoi renouveler notre regard sur la musique sud-américaine, souvent réduite à des clichés ici vite balayés…
jeudi 25 juillet 2013
Secret story
Secret, mais pas confidentiel. En 1992, Donna Tartt signait The Secret History (Le Maître des illusions en VF), un bouquin puissant et atypique, qu'elle avait mis huit ans à écrire et qui s'est quand même écoulé à quelque 5 millions d'exemplaires dans le monde. Condisciple de Bret Easton Ellis, à qui The Secret History était dédié, elle s'avère, à presque cinquante ans, aussi talentueuse que… peu prolifique. La sortie annoncée d'un troisième roman cet automne, The Goldfinch, fait donc figure d'événement. A suivre avec attention…
mardi 16 juillet 2013
A mazzy star is (re)born !
Bon, ok, ça n'a jamais été le duo le plus sympathique du monde. Je me souviens même d'un concert au Divan du monde écourté parce qu'un spectateur aviné avait osé siffler la belle Hope Sandoval, qui avait détalé sur le champ. Pas les potes rêvés pour rigoler, mais un putain de bon groupe, avec sa pop lancinante et psychédélique, une grâce électrique qui les élevait un cran au-dessus de la (pourtant rude) concurrence des 90s. On a suivi avec beaucoup d'intérêt la carrière solo de Hope Sandoval (la dernière fois, elle chantait dans le noir au Café de la danse, mais c'était magnifique), alors voir le duo se reformer pour un nouveau disque dix-sept ans après, c'est une vraie bonne nouvelle. A l'écoute du single California, on peut se montrer confiant. A suivre vite !…
http://www.spin.com/articles/mazzy-star-california-stream-seasons-of-your-day
vendredi 5 juillet 2013
Virées électroniques
Attendu depuis des lustres par les fans, beaucoup plus nombreux d'ailleurs qu'on ne l'imagine, le duo culte écossais de Boards of Canada a fini par livrer en juin dernier Tomorrow's harvest, un album somptueux qui ne crée pas la surprise, mais prolonge des pistes déjà explorées tout en ouvrant la fenêtre vers d'autres horizons. On imagine bien qu'il y a quelques grincheux pour arguer qu'en 2013, Boards of Canada ne sonne pas très différemment qu'en 2005, date de leur dernier album. Pas faux, mais peut-être juste qu'on s'en fout au final. L'electronica du duo reste un modèle de concision et sa force onirique ahurissante est demeurée intacte. Le reste est assez accessoire, les mots semblant d'ailleurs bien faibles face à l'imaginaire stimulé par cette musique…
lundi 24 juin 2013
Pur et dur
L'une des petites claques musicales du moment, c'est sans doute Fields of Reeds, troisième album des Anglais de These New Puritans, un quatuor atypique depuis ses débuts (2008), qui, bizarrement, largue les amarres en opérant un net ralentissement du tempo de sa musique. L'audace du groupe transpirait déjà par tous les pores de Hidden, leur précédent disque. Rythmique martiale, mélange inclassable d'electro et d'orchestration pompeuse qui partait dans toutes les directions. Impressionnant, souvent brillant, mais parfois indigeste. Cette fois, These New Puritans se mue en formation quasi-classique, avec orchestrations et instruments à vents. Mais le mouvement est bien plus radical que cela : des titres qui explosent les formats conventionnels de la pop song, une sensation d'étirement qui lorgne plutôt vers le post-rock et fait songer au génial traitement que Mark Hollis avait infligé à son groupe Talk Talk, avec l'album Spirit of Eden. On s'aventure clairement vers des territoires incertains, avec pour l'auditeur une belle sensation de se laisser emporter vers des zones inconnues. Si Fields of Reeds n'échappe pas du coup à quelques longueurs, des morceaux aussi beaux que Dream, Fragment two ou encore l'hypnotique Organ eternal, emportent largement l'adhésion. La semaine dernière, de passage au Café de la Danse, le groupe a prouvé que cet exercice ambitieux passait bien le cap de la scène, tout en revisitant magistralement son répertoire passé. Une audace pleine de promesses pour la suite.
lundi 3 juin 2013
Une iconoclaste en Bavière
Si jamais vous passez par Munich, et de préférence avant le 7 juillet - mais oui, mais oui, c'est possible -, un saut au musée Brandhorst s'impose. D'abord parce que ce musée, à proximité de la Pinacothek der Moderne et du quartier étudiant, est vraiment superbe. Secondo parce qu'une expo sur l'artiste anglaise Gillian Wearing s'y tient et mérite absolument le détour. Compliqué de résumer en quelques lignes le travail de l'artiste, née en 1963. Cette photographe et vidéaste livre depuis de nombreuses années une œuvre très provocatrice, dérangeante, qui joue avec le spectateur et traverse des questions identitaires très puissantes. Son travail le plus célèbre met en scène des passants à qui elle a demandé d'écrire ce qu'ils avaient en tête au moment où elle les croisait. Ou encore cette vidéo incroyable où, après avoir croisé un jour une femme au visage entièrement bandé dans la rue, elle décide de lui rendre hommage en circulant ainsi dans la rue et en filmant les réactions des passants. Flippant et très intelligent.
samedi 11 mai 2013
Playing the angel
Il existe un certain ennui dans les livres de Don DeLillo. Oui, un ennui qui serait à la fois d'ordre littéraire (cette écriture qui n'exclut pas l'émotion mais la tient toujours savamment à distance) et serait surtout celui de personnages à la destinée parquée dans un quotidien dont eux-mêmes semblent parfois douter du sens. Impression très nette à la lecture de L'ange Esmeralda, splendide recueil de nouvelles paru récemment chez Actes Sud. Des nouvelles rédigées au fil des ans, mais qui explorent avec beaucoup de force le vide existentiel de nos contemporains. Des personnages qui flottent, semblent en lévitation, rattachés à des bouts d'existence parfois étranges, à l'image de cet homme emprisonné dans un centre pénitentiaire pour criminels financiers ou de cet autre homme qui passe ses journées à visionner le plus de films possibles au cinéma. Toute existence humaine est un jeu de lumière, lit-on quelque part dans l'une de ces nouvelles. Tout l'art de Don DeLillo est de tirer les ficelles (lumineuses) de ces destins aussi communs que singuliers. Brillant, vraiment.
samedi 27 avril 2013
Un peu beaucoup talentueux
En tout juste trois ans, l'ascension du jeune James Blake (même pas 25 ans) semble aussi fulgurante que justifiée. Vite repéré par les radios anglaises, le chanteur n'a eu de cesse de déployer son insolent talent, creusant une voie bien à lui, sorte de mélange assez unique entre electro, soul et dubstep. Difficile de ne pas être séduit par exemple par l'excellent Klavierwerke
Sur son nouvel album, Overgrown, Blake continue sur sa lancée et ne commet pas vraiment d'erreur. On y retrouve RZA, on explore toujours des hauteurs electro planantes et suffisamment étranges pour troubler le public de plus en plus large qui s'intéresse à lui. Le seul truc, qui vaut finalement pour les surdoués de son genre (Björk, Radiohead sont des exemples…), c'est le risque à la longue de lasser. Mais même ça, James Blake a tout le temps de l'anticiper.
samedi 13 avril 2013
Spring Breakeuuh ?
Harmony Korine serait-il un poil entubeur ? Sorti il y a déjà quelques semaines et précédé d'une efficace campagne marketing misant gros sur l'effet bikini, Spring Breakers laisse carrément perplexe. Le scénariste du génial Kids et réalisateur de Gummo a bien changé (ou c'est moi). Dans ce polar débauché qui prend pour cadre le rituel Spring Break cher aux étudiants américains, Korine semble sans cesse flirter avec les clichés qu'il dénonce. Le message du film n'est pas d'une complexité telle qu'un gosse de 10 ans, même nourri à MTV, ne puisse pas en saisir le propos, cette vacuité généralisée ici longuement pointée et déclinée. Si certaines scènes, installant une esthétique dark bubble-gum assez poétique, réussissent à nous rappeler qu'on a affaire à un type doué derrière la caméra, l'ensemble est d'une mollesse plutôt complaisante. Car c'est là le pire : on s'ennuie comme des rats morts dans ce film qui n'a rien à raconter, pas d'histoire, pas de personnages. Le comble pour un mec qui a percé comme scénariste. Sinon, les quatre copines sont effectivement sexy dans leur bikini et James Franco assure en icône gangsta rap. Mais euh, bon ?
samedi 6 avril 2013
La réinvention de la solitude
Je ne sais pas vous, mais moi il y a bien longtemps qu'un bouquin de Paul Auster ne m'avait pas emballé. En lisant son récent Chronique d'hiver, j'ai retrouvé enfin le plaisir de se laisser prendre aux fils tissés par cet excellent narrateur. Pas question ici de roman ou de fiction, le texte est un recueil de pensées centrées sur cette implacable donnée : à soixante-cinq ans, Auster est entré dans l'"hiver" de sa vie et cette saison-là que l'écrivain américain évoque, prétexte à d'incessants retours dans le passé. La force du livre tient beaucoup au regard froid et parfois même clinique que l'auteur pose sur certaines données de sa vie, les blessures et dégradations de son corps, les lieux où il a habités, ceux où il a voyagé. Terrible inventaire auxquels se mêlent nombre de souvenirs plus proches des codes classiques de l'autobiographie. Malgré quelques longueurs, cette Chronique d'hiver dégage, avec une économie d'effets, beaucoup d'émotion et fait évidemment écho à L'invention de la solitude, écrit il y a maintenant trente ans. L'impression, du coup, de revenir au meilleur d'Auster.
mercredi 27 mars 2013
Texas à Paris
C'est parfois quand les artistes n'ont plus rien à prouver qu'ils deviennent plus attachants. Pour exemple ce huitième album du groupe Texas, qui sort en mai prochain et que l'infatigable Sharleen Spiteri est venue raconter la semaine dernière à des journalistes prêts à en découdre avec son accent écossais. Plus de disque depuis 2005, hormis une escapade solo réussie pour sa chanteuse, un guitariste revenu des morts (rupture d'anévrisme en 2009)…, le blockbuster pop-rock des années 90 semblait sérieusement avoir mis la veilleuse. Or il suffit d'écouter quelques notes de The conversation pour se rappeler que les 30 millions d'albums vendus par les Ecossais ne sont pas le fruit du hasard. Décontracté (mais ils ont toujours semblé l'être), sans pression, Texas renoue avec l'efficacité de ses débuts sans pour autant se répéter. Ils ont bossé avec Bernard Butler, ex-Suede et Richard Hawley, ex-Pulp. Mais on pense plus que jamais à Blondie et à Chrissie Hynde en écoutant des titres comme Detroit City ou Talk about love. La tonalité un poil rétro de l'ensemble confère au disque un charme assez réjouissant. Et quand on demande à Sharleen pourquoi cette affaire-là marche si bien depuis quand même 25 ans, elle répond spontanément : Well, it's just because I'm a bitch ! Tout roule, donc.
jeudi 21 mars 2013
Mieux que Radiohead ?
C'est la question que se posent pas mal de fans à l'écoute d'Atoms for Peace, le projet de Thom Yorke, qui vient de sortir Amok, bel exercice de style electro-pop. On se souvient que le leader de Radiohead avait déjà œuvré en solo, sur l'album The Eraser, plutôt réussi. Ici, accompagné notamment de Nigel Godrich (producteur de Radiohead) et de Flea des Red Hot, le petit Thom pousse le bouchon un peu plus loin. Pas trop loin, d'ailleurs, juste ce qu'il faut pour proposer une musique pointue, élaborée, mais pas inaccessible. Un peu ce qu'on aimait dans le Radiohead des grands jours, non ?
dimanche 17 mars 2013
Sugar man Vs Nabila
En voyant - enfin - Searching for Sugarman, on se dit évidemment mille choses sur la portée de la musique, la valeur de l'argent, d'une carrière, le poids du temps, etc. Le film et l'histoire de Rodriguez font suffisamment de bruit aujourd'hui pour qu'il ne semble pas utile de revenir sur ce parcours extraordinaire. Parmi les questions qu'on se pose, celle de savoir si la vie de Rodriguez aurait été entièrement différente au temps d'Internet et des réseaux sociaux, n'amène pas une réponse catégorique. Les choses auraient été différentes, mais pas forcément mieux. En revanche, ce qui fait froid dans le dos, c'est de mettre soudain en parallèle le temps (plusieurs décennies) qu'il aura fallu à Rodriguez pour découvrir qu'il avait vendu des centaines de milliers de disques en Afrique du Sud et la rapidité sidérante avec laquelle les inepties télévisuelles de la truffe Nabila se répandent sur nous à travers le web et les médias sociaux. O tempora…
jeudi 14 mars 2013
Kid A+++++
A quelques jours de la sortie officielle de son premier album, The Golden Age, difficile de ne pas dire un mot de Woodkid. Ok, le buzz autour du bonhomme doit en énerver quelques-uns. J'ai même lu dans TGV Magazine que c'était l'un des albums français les plus attendus depuis une quinzaine d'années… Abusé ? Pas sûr, car une fois qu'on met la tête dans le projet Woodkid, on réalise qu'on a affaire à un artiste qui dépasse allègrement le phénomène de mode. Graphiquement, ses clips époustouflants ont déjà parlé pour lui. Son EP et ses singles en ont fait de même, chargés de promesses. Et l'album, clairement, est à la hauteur des attentes. Ambitieux jusqu'à la démesure parfois, symphonique mais aussi acoustique, subtil, tribal, percutant, ce mélange au final impressionne vraiment. Et séduit. Woodkid propose une écriture vraiment personnelle, même si elle regorge d'influences. Beaucoup de Philip Glass, de Steve Reich sans doute dans la discothèque numérique du jeune homme. Pour moi, en tout cas, le résultat est absolument brillant.
mardi 12 mars 2013
Drôle d'oiseau
Marion Gaume, alias Mesparrow, est l'une des très bonnes surprises de ce début d'année. Son premier album, Keep this moment alive, sort ces jours-ci et sa pop enjouée fait visiblement l'unanimité. Il y a d'abord cette voix cassée, qu'elle module au gré des chansons, mais qui donne un timbre bien particulier à sa musique. Et puis ensuite, une impression de liberté qui, pour l'auditeur, s'avère assez jubilatoire. Ce disque est gai, beau, inventif, sans prétention. Ca fait déjà beaucoup pour un début.
vendredi 8 mars 2013
Perfect mother ?
Naomi Watts se présente comme une "fille normale". Bon. La blondinette copine de King Kong a quand même été révélée par le trouble David Lynch, s'est mise entre les mains de Michael Haneke (Funny games US) ou même dans les pattes certes vieillissantes d'un Woody Allen. Tout ça pour dire qu'en matière de réalisateur pervers, elle s'y connait un peu. Cette fois, c'est Anne Fontaine qui l'embarque dans une histoire également bien tordue. Dans Perfect Mothers, tiré d'une nouvelle de Doris Lessing, Naomi incarne Lil, une femme qui a grandi avec sa meilleure amie Roz (Robin Wright, excellente) dans une petite station balnéaire australienne, lieu paradisiaque et spot de surf. Les filles grandissent, deviennent femmes, puis mères, toujours aussi proches. L'une pert son mari, l'autre s'en sépare, elles évoluent surtout en huis-clos avec leurs deux jeunes fils, qui le temps passant, deviennent eux aussi des jeunes hommes particulièrement pimpants. S'ensuit une relation à quatre dont je ne dirai rien de plus, sinon que le film, assez réussi, ne devrait pas combler Frigide Barjot. On connait le goût de Doris Lessing pour foutre en l'air tout ce qui relève des codes classiques de la famille. Là, on est servi. "Je n'aurai pas pu faire ce film avec un réalisateur masculin", glisse la belle Naomi en fin d'interview. Ah ouais ? Sortie le 1er avril.
lundi 4 mars 2013
Rastas en péril à Berlin
Le Yaam, c'est l'un des endroits les plus cool de Berlin. Plage tenue par une équipe de Rastafaris au bord de la Spree, c'est l'un des points de rassemblement les plus prisés des Berlinois, où l'on boit une bière en agitant les jambes au-dessus de l'eau. On y trouve aussi un resto, des espaces pour les enfants, un skatepark, du beach volley, bref, tout ce qui faut pour passer un moment agréable. Manque de bol, le Yaam se trouve dans l'une des zones menacées aujourd'hui par les projets immobiliers de promoteurs pas très concernés par l'esprit alternatif du Berlin de l'après-Mur, ou ce qu'il en reste. Il y a quelques mois, on évacuait le Tacheles, ce squat géant du cœur de Berlin (devenu, c'est vrai, une caricature pour touristes en mal d'underground), aujourd'hui, à Fridrieschain, on menace de démanteler l'East side Gallery, cette partie du Mur à laquelle est adjacente la plage du Yaam. Triste époque à Berlin.
L'amour au musée
Je sais, j'ai deux ans de retard. Et je n'ai pas d'explications ni d'excuse au fait d'avoir attendu si longtemps pour lire Le Musée de l'Innocence, de l'excellent Orhan Pamuk. Que dire alors qui n'ait déjà été dit ou écrit sur cette histoire d'amour assez sidérante dans l'Istanbul des années 70-80 ? Je trouve personnellement que le plus bluffant est sans doute la narration adoptée par l'auteur et les rythmes qu'il imprime au lecteur, comme le chapitre - immense mais on comprend bien pourquoi - consacré aux fiançailles, ou cette phase de huit ans durant laquelle Kemal rend visite à la belle Füsun chez ses parents. Et puis bien sûr, les thématiques de l'obsession, du fétichisme sont ici sublimées par la beauté du texte, à la fois simple et dense, du pur Pamuk. L'auteur turc a d'ailleurs fini par ouvrir il y a moins d'un an un vrai Musée de l'Innocence à Istanbul, inspiré d'objets et matériaux de l'époque qu'il décrit.
lundi 25 février 2013
Les jeux de Julio
Moment-phare de la thématique Soleil froid que propose le Palais de Tokyo à partir du 27 février, l'expo consacrée à l'artiste argentin Julio Le Parc est une belle réussite. On y pénètre à travers un labyrinthe de miroirs suspendus et tout est déjà là, en suspens : le jeu sur la lumière, le mouvement, les volumes, la cinétique, l'interactivité. Les salles suivantes, pour certaines très spectaculaires et le plus souvent assez ludiques, ne font que confirmer cette forte impression. Il faut se rendre sur place pour vivre cette expérience et apprécier cette superbe rétrospective. On parle quand même d'un garçon né en 1928 et beaucoup de ces œuvres exposées datent des années 60. Chapeau…
jeudi 21 février 2013
A la coule, Jean-Louis ?
Il a un peu ralenti le rythme, Murat. Toujours prolifique, que les fans soient rassurés, mais on n'est plus sur le tempo d'un album tous les six mois, et honnêtement c'est pas plus mal. La pochette de l'album témoigne bien de cela, on y voit un Jean-Louis sur un VTT dans la campagne, chapeau de paille sous le soleil, quasiment à l'arrêt. Mais qu'on ne se méprenne pas : Murat n'est pas et ne sera jamais assagi. Sous son côté assez tranquille, un peu comme le Nick Cave d'ailleurs, Toboggan est un album qui ne manque pas d'ambition et où, comme à son habitude, Murat se réinvente, essaie, expérimente. En jouant par exemple exclusivement sur une guitare aux cordes nylon et en ne s'entourant que de quelques instruments. Bricolage assez inspiré, qui atteint quelques sommets et reste attachant même dans les moments de creux. Sortie le 25 mars chez PIAS.
mardi 19 février 2013
Mauvaise graine
A première écoute, on n'est pas forcément bluffé par le nouveau Nick Cave. Le terrain est trop connu pour créer la surprise et le tempo général, assez lent, n'aide pas à générer une grande surexcitation. Mais ce serait évidemment sous-estimer ce bon vieux Nick que d'en rester là. Epaulé de ses Bad Seeds quoique privé du complice de toujours, Mick Harvey, qui a rendu les armes, le crooner australien livre en fait une copie à déguster sans se presser, un peu longue en bouche et âpre juste ce qu'il faut. De Jubilee Street à Water's edge jusqu'au somptueux final Push the sky away, Cave déploie son talent avec une retenue salutaire. Pas trop d'esbroufe, une furie relativement contenue, même si l'album flotte sur un brasier, quelques mélodies vraiment bien troussées et le tour est joué. Pas de surprises, non, mais l'un des meilleurs albums de son auteur, ce qui n'est pas rien.
samedi 16 février 2013
Piano suédois
Les amateurs de jazz connaissent le pianiste suédois Jan Lundgren, qui évolue en général en trio, avec déjà une solide discographie. Pour son premier album piano solo enregistré à Oslo, Man in the fog, Lundgren réussit à trouver une belle cohérence musicale, en couplant ses propres compositions à des reprises assez diverses. Il revisite en effet des musiciens tels que Fauré, Chico Buarque ou encore reprend le thème de Chinatown. Elégant, épuré, très accessible, une des bonnes surprises de ce début d'année.
mercredi 13 février 2013
Je m'appelle Victor Anthracite, j'ai deux enfants et un labrador
Mais qui est Victor Anthracite ? Une sorte d'anti-héros, représentant d'une compagnie de dentifrice qui se retrouve précipité malgré lui dans des événements insensés dans Victor Anthracite et les trafiquants de parapluie. Cette bande dessinée de Gérard Auclin est peut-être inégale, mais offre l'occasion de parler d'une excellente maison d'édition, The Hoochie Coochie. Une belle expo lui était d'ailleurs consacrée à Angoulême cette année et les amateurs de BD connaissent sans doute ses auteurs phares, Christopher Hittinger, Baladi ou encore Nicolas Presl. Allez donc jeter un œil : www.thehoochiecoochie.com
lundi 11 février 2013
Regarde-moi, j'ai changé
Barbara, oui, on la kiffe. Et pas depuis trois mois. Depuis ses chouettes Chansons, les Anaïs, Tunis et autres Peu importe. Du talent, of course, une voix et une belle personnalité, malicieuse et singulière, y'a pas débat. Et que toute la lumière vienne enfin sur elle, comment ne pas s'en réjouir ? Alors, bon, mettons cela sur le compte d'un mauvais retour son, sur la scène surchargée des Victoires de la musique. Mais Barbara, L'amour, l'argent, le vent, please, ne nous le chante plus jamais comme ça…
vendredi 8 février 2013
En colère !
Bastien Vivès a beau être un dessinateur prolifique, ses Melons de la colère ne sont pas une nouveauté, mais un album paru aux Requins Marteaux en 2011. Dans la collection BD cul, précisons-le. Car du cul, oui, il y en a dans cette histoire où une jeune paysanne consulte des médecins libidineux dans l'espoir de faire réduire sa poitrine pour le moins volumineuse. On retrouve le trait assez classique de Vivès, ponctué de scènes assez crues, mais aussi de séquences franchement poilantes, comme cette scène où un agriculteur (le père) débarque dans un Darty et demande à un vendeur de "mettre ses photos sur l'Internet". S'ensuit un dialogue de sourds irrésistible et emblématique des dons anthropologiques de Vivès. Chaud, caustique et dérangeant.
mercredi 6 février 2013
Granville fait du bien
L'un des derniers-nés de la pop française s'appelle Granville, vient de sortir un premier album, Les voiles, et propose une musique assez rétro, entre naiveté sixties quasi yéyé et un oeil tourné plutôt outre-atlantique, vers la pop californienne. Avec des titres efficaces comme Nancy Sinatra ou Jersey, le groupe normand trouve un son et une identité assez charmants, qui font souvent mouche. Un projet musical réjouissant à déguster comme un berlingot en ce terne début de février.
mardi 29 janvier 2013
Killed by a remix ?…
Asaf Avidan, vous connaissez forcément, disons au moins d'une oreille. Ce chanteur et musicien israélien a publié plusieurs albums, plutôt bien accueillis d'ailleurs. Mais l'histoire a basculé lorsqu'un fan allemand s'est piqué de remixer l'un de ses anciens titres, Reckoning song, transformé en One day. Sur le coup, Avidan, à qui son fan avait envoyé le remix, n'a pas du tout aimé. Mais la blague a vite tourné sur les réseaux sociaux et viré au phénomène (73 millions de vues sur youtube !), au point que le label d'Asaf a voulu le commercialiser. D'abord réticent, le chanteur a fini par céder. L'histoire rappelle le Don't you, des Simple Minds, fer de lance de la new wave eighties propulsés du jour au lendemain stars planétaires sur la foi d'un titre qu'ils n'avaient pas composé. Aujourd'hui, alors que sort Different pulse, son excellent quatrième album, Asaf Avidan remet les pendules à l'heure, en proposant une musique sans concession, portée par cette voix ahurissante que des millions de personnes ont écoutées en se dandinant. Espérons qu'il y a de la place pour le tube et le folk un peu extraterrestre de ce surdoué.
jeudi 24 janvier 2013
M'enfin ?
M'enfin pourquoi ? Un nouvel album de New Order peut-il être un événement en 2013 ? Ben, la réponse clairement est non. Lost sirens, sorti ces jours-ci est un exercice assez vain, simple compilation en fait des morceaux laissés de côté lors de l'enregistrement de Waiting for the siren's call, il y a déjà huit ans. Et déjà, à l'époque, on avait du mal à ne pas s'endormir. Ici l'inanité des huit titres proposés ne donne qu'une envie, ressortir ses vieux cd et réécouter un bon vieux Age of consent. Fais pas bon vieillir…
mercredi 23 janvier 2013
Love, etc
Même si le rythme de sa production s'est sensiblement accéléré depuis une dizaine d'années et que malgré la Palme d'or, son Tree of life avait pu diviser, un film de Terrence Malick reste un événement. Une plongée de quelques heures dans un monde où l'organique et le spirituel s'entrecroisent, avec au milieu des hommes, qui font ce qu'ils peuvent et font d'une certaine manière juste partie du décor (cosmique). Et quelque part, ou partout, ou peut-être nulle part, Dieu.
Pour A la merveille, Malick ne nous plonge qu'une petite heure cinquante dans son cosmos. Comme d'habitude, la photographie est extraordinaire, la narration étrangement déconstruite et l'ensemble lyrique à souhait. Je ne me livrerai pas à un exercice critique, il y en aura suffisamment début mars, à la sortie du film. Et puis ce cinéma-là a aussi une intensité telle que lorsqu'on en sort, on a davantage envie de partager une émotion, une expérience, que de savoir si au fond, le film est vraiment bon ou pas. Dont acte.
vendredi 18 janvier 2013
Reality show
Certains photographes vont plus loin que d'autres. Mais chez Antoine d'Agata, ce n'est pas la surenchère qui intéresse mais plutôt la profondeur, le flux, la radicalité d'un propos qui depuis une vingtaine d'années lui a permis de composer une œuvre éprouvante mais très impressionnante. Monde de la nuit, défonce, sexe, dope… D'une vision documentariste, d'Agata a glissé peu à peu vers plus d'abstraction, vers quelque chose qui semble même échapper à la photographie. Mais son travail reste éminemment politique, comme ses séries sur Sangatte par exemple. Bref, ne ratez pas l'expo que lui consacre le Bal à partir du 24 janvier. Un livre, Anticorps, sort par la même occasion et donne, avec plus de 2400 photographies, la mesure de cette œuvre d'ores-et-déjà unique et monumentale.
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