vendredi 18 décembre 2015
Bombes humaines
Difficile, pour ceux qui l'ont vu, d'oublier la beauté sombre d'Oslo 31 août, le précédent film du norvégien Joachim Trier, une adaptation époustouflante du Feu Follet. Plus ample, plus ambitieux dans sa narration, Back Home (rebaptisé ainsi après les attentats de novembre mais initialement intitulé Louder than bombs) explore le quotidien d'une famille dont la mère, photographe de renom (Isabelle Huppert) est morte quelques années plus tôt, dans des circonstances plus ou moins claires. A travers un enchevêtrement de temporalités où présent, flash-backs, rêves s'agrègent en permanence, trois portraits d'hommes, le père et ses deux fils, dont Conrad, le plus jeune, en pleine crise d'adolescence. Chacun vit avec ses failles, ses fantômes, l'incommunicabilité père/fils étant ici remarquablement traitée. Lentement, avec quelques longueurs et en se regardant parfois un peu filmer, Joachim Trier tisse une trame dense, intense et au final passionnante. Les trouvailles de réalisation trouvent un écho parfait dans la direction d'acteurs impeccable. Et la réflexion sur l'information (Conrad, plongé en permanence dans l'univers des jeux vidéos apprend par un journal papier la vraie raison de la mort de sa mère), l'éducation est ici sublimée dans un objet cinématographique à la fois classique et virtuose.
lundi 30 novembre 2015
Toujours pas normale
Claire Boucher, alias Grimes, is back ! La Canadienne déjantée, signée chez 4AD, revient avec un quatrième album qui a la rude tâche de succéder au fantastique Visions. Que les accrocs se rassurent, la musique de Grimes file toujours autant entre les doigts, insensé concentré créatif où se croisent tellement d'influences (pop manga, electro, soul, hip hop, médiéval...) qu'on ne cherche justement plus à décrypter quoi que ce soit. En ce sens, Art Angels ne marque aucun signe d'essoufflement, simplement moins d'inspiration que son prédécesseur. Plus évident, moins subtil, l'album vaut ses charmants détours, foisonne de hits (trop ?) efficaces. Au final, il risque de moins marquer les esprits. Vivement le prochain ?
Noirs désirs
Ovni musical par excellence, ce premier album de Bruit Noir associe deux complices, Pascal Bouaziz (Mendelson) et Jean-Michel Pires (Mimo the maker,) autour d'un projet musical radical et aventureux. Dans le format déjà : sans guitare, rythmé par des percussions lapidaires et orné de cuivres distordus, un chant, celui de Bouaziz, qui relève plus du récit que de la cantate. Tellement froid, tellement minimaliste qu'on en tremble d'abord : on va vraiment pouvoir tenir tout un album ? En fait, oui, car il y a dans ces chansons qui n'en sont pas une urgence, un sens du détail qui ne sont pas que noirceur. Si l'intro incroyable (Requiem) met en abyme un Pascal Bouaziz trépassé, on se retrouve vite entraîné dans une narration musicale accrocheuse, grâce à ces textes aussi tranchants qu'attachants. Truffés de punchlines que pourraient méditer la plupart des rappeurs hexagonaux, ces dix morceaux sans concession s'avèrent vite indispensables.
mardi 24 novembre 2015
Bowie unlimited
En quelques jours, Blackstar, le nouveau single de David Bowie, capitalisait déjà plus de 2 millions de vues sur Youtube. Le morceau, en fait un véritable court-métrage d'une dizaine de minutes, a eu vite fait de marquer les esprits et d'échauffer les oreilles. Normal. Depuis Outside, paru en 1995, on n'avait pas entendu l'ami Bowie livrer une musique aussi dérangée. Rien à voir avec The Next Day, l'album du retour en 2013, rock mais fadasse. Ici, outre l'univers visuel évidemment intriguant, le morceau se déroule de façon inattendue, alternant un jazz-electro sismique avec une pop lumineuse, le tout porté par le chant majestueux du maître. Un poil trop long, ok, mais de très bon augure en vue de l'album éponyme qui sortira le 8 janvier prochain. Bowie, qui s'est adjoint les services de James Murphy sur plusieurs titres, aurait été surtout influencé par le hip-hop inventif de Kendrick Lamar. Autant dire, ce qui s'est fait de mieux en 2015...
jeudi 12 novembre 2015
Tu t'es vu en homard ?
La vraie question avec The Lobster était surtout de savoir si le film allait tenir ses promesses. Avec un pitch aussi alléchant (pour le faire vite, les célibataires sont envoyés dans une résidence/hôtel pour trouver l'âme soeur, faute de quoi ils seront transformés en animal de leur choix au bout de 45 jours), le grec Yorgos Lanthimos avait toutes les cartes en mains pour réussir un chef d'oeuvre. Et de fait, dès les premiers plans, avec l'arrivée de Colin Farrel à l'hôtel, le film intrigue, dérange, amuse. Les bases de cette farce sont vite et bien posées, dans un registre inédit qui évoque autant Orwell, Von Trier que Pasolini. La mécanique absurde qui se met en place séduit en même temps qu'elle effraie, portée par des comédiens impeccables et une mise en scène inspirée. C'est dans la seconde partie du film que ce système éblouissant tend à s'essouffler. Le personnage de Colin Farrell prend la tangente, la narration se disperse en même temps que lui dans la forêt où zonent les Solitaires, et l'apparition d'une Léa Seydoux pas à son meilleur n'arrange pas les choses. La farce devient fable, une dénonciation évidente de notre société consumériste et normative, mais on finit hélas par s'ennuyer, malgré une scène hilarante sur fond musical de Jeux Interdits et une séquence finale réussie. Reste un objet cinématographique assez ovniesque, sans doute pas le chef d'oeuvre espéré, mais tout de même très fréquentable.
samedi 31 octobre 2015
Mercury Rev n'y est plus vraiment
La trajectoire parfois indéchiffrable de ce groupe indie américain croisera toujours le point d'orgue de leur inusable chef d'oeuvre Deserter's songs, sorti en 1998. Depuis, malgré quelques moments de grâce au fil des différents albums, qui ont succédé Mercury Rev n'a jamais réussi à rééditer la formule de cette pop délicate et aérienne. Au contraire, trop souvent noyé dans des arrangements ampoulés, le groupe s'est un peu perdu en route. Après 7 ans d'absence, l'arrivée d'un nouvel album et une tournée en novembre pouvait faire espérer un come-back lumineux. The Light in you n'est pas un mauvais album et certains titres, comme Central Park East ou Autumn's in the air, se révèlent même assez accrocheurs. Mais une fois de plus, les Américains cèdent à la tentation d'en faire trop et leur musique vire trop souvent vers une pop guimauve qui, on l'espère, sera moins indigeste sur scène. Dommage.
St Germain ou l'art du come-back
Il y a des types qui ont le talent de savoir rester discret tout en faisant des miracles. Ludovic Navarre, alias St Germain, est indéniablement de ceux-là. Le voir réapparaître en 2015 semble totalement incongru. Rose Rouge, Deep in it, Sure Thing, toute cette musique paraît si lointaine et forcément datée. On en oublierait presque que St Germain fut l'une des premières signatures du label F Communications, que ses deux albums, Boulevard en 1995 et surtout Tourist, à l'aube des années 2000, ont fait un incroyable carton à travers le monde, s'écoulant à plusieurs millions d'exemplaires pour le second. Loin du tapage médiatique des Daft Punk, mais impressionnant à sa manière. Quand on réécoute cette électro de l'époque, ce qui saute aux yeux, c'est la curiosité musicale de Navarre, son envie incessante d'aller voir ailleurs, d'ouvrir son horizon, vers le jazz, le blues. Cet ermite un peu mystérieux, qui dit passer ses journées en studio et n'a jamais affectionné le live, a donc laissé passer le temps. Des années même, où il avait peut-être abandonné jusqu'à l'idée de ressortir un album. Et puis le revoilà. Différent mais finalement assez fidèle à lui-même. C'est encore en métissant son électro, cette fois avec les musiques africaines, essentiellement maliennes, mais en injectant toujours un peu de blues, qu'il opère ce come-back. Sur Real Blues, morceau d'ouverture porté par la voix de feu Lightnin' Hopkins, le ton est donné et St Germain déroule son art de la fusion, avec une évidence presque simpliste. On peut ne pas se sentir subjugué par cette musique, mais difficile de nier l'intégrité d'un bonhomme, qui n'a pas hésité à rester plus de dix ans silencieux. Et qui sait s'il ne va pas encore faire un carton ?
lundi 26 octobre 2015
Woody retrouve le (bon) tempo
On connait la chanson : depuis vingt ans, la livraison annuelle du nouveau Woody est invariablement accompagnée de critiques dans l'ensemble exagérément positives, qui nous expliquent que non cette fois, ce n'est pas comme l'année dernière, si, si, vraiment, croyez-le, c'est un bon cru. Ok. Le cinéma de Woody Allen fut autrefois assez génial, il est devenu un sujet plus mineur, on le sait. Pas si grave. Alors, comment expliquer que cet Homme irrationnel semble un peu émerger du lot ? Les acteurs ? Ils sont rarement mauvais chez Allen. Emily Stone est une parfaite nouvelle muse, Joaquin Phoenix, même bedonnant, crève l'écran. Parker Posey, qui complète cette trilogie amoureuse, est également très bien. Les thématiques ? De Kierkegaard à Dostoïevski, du désespoir au crime, on est en terrain allenien hyperbalisé. Non, ce qui frappe ici, c'est plutôt la qualité de l'image, une manière de filmer fluide, très élégante, et des lumières vraiment soignées. Loin du côté bricolé, voire un peu cheap des dernières réalisations de Woody. Effleurant la surface des choses et des êtres (ce qu'on n'a pas manqué de lui reprocher, l'accusant même de paresse), Allen trouve une certaine grâce et le bon tempo. Le fond musical jazzy, porté cette fois par des standards somptueux de Ramsey Lewis, ainsi que les insertions classiques de Bach dans la narration, concourent à rehausser d'un bon ton la classe de ce film. Plaisir gâché par quelques maladresses de mise en scène sur la fin. Mais dans l'ensemble, on dira, en se gardant de tout superlatif, que ce Woody-là se déguste avec une certaine délectation. Ce qui n'est déjà pas si mal, non ?
samedi 10 octobre 2015
Enjoy the silence
C'est peu dire que The sound of Silence, de Simon and Garfunkel, a fait l'objet de nombreuses reprises. On se lance donc d'abord avec une certaine distance dans l'écoute de cette énième cover, près de 50 ans après l'original, fameuse bande-son du Lauréat. Sauf que c'est James Blake aux commandes. A l'aide d'un seul orgue et de quelques samples, le prodige british parvient une fois encore à faire des miracles (musicaux). Pas la révolution, non, la mélodie est très reconnaissable et le tempo pas si éloigné. Juste une version habitée et subtilement émouvante de ce classique. Chapeau.
mercredi 30 septembre 2015
Goûtez ce pain...
On ne pourra pas reprocher à François-Régis Croisier, alias Pain-Noir, nouveau venu sur la scène française, de manquer d'univers. Textes très bien écrits, chansons où affleure une personnalité touchante, habitée par beaucoup de réminiscences de l'enfance…, ce premier album paru chez Tom Boy a des atouts pour séduire et accrocher. Des Sablières à Requin-Baleine jusqu'à La Retenue, ce folk tarabiscoté déploie son imaginaire musical tout au long d'un disque plutôt délicat. Paradoxe, on se sent pourtant trop souvent en terrain connu dans ces arrangements (B. Belin, Beirut, Grandaddy, par exemple) et le chant monochrome de Croisier finit par lasser. Il est heureusement relevé de quelques voix féminines, dont celle de Mina Tindle sur le réussi Jamais l'or ne dure.
samedi 26 septembre 2015
Les hauts de Low
Des Américains de Low, certains ne garderont que le choc musical et esthétique de leur premier album, I could live in Hope. Ou comment un rock lent et mélancolique pouvait dégager une telle pureté et autant d'intensité. Dès l'ouverture de l'album, le titre Words, parfait modèle du genre, embrassait toute cette ambition. Plombant, mais absolument magistral. Sauf que c'était il y a 20 ans. Depuis, le trio originaire du Minnesota a poursuivi joliment sa route, modifiant parfois les itinéraires et le tempo. Une ligne sombre et minimaliste, mais capable de bien plus de nuances qu'on ne l'aurait imaginé. C'est comme cela qu'il faut accueillir Ones and Sixes, nouvel album particulièrement réussi. Low et son leader Alan Sparhawk propose aujourd'hui une musique qui lui est propre, peu redevable de quoi que ce soit à tel ou tel genre musical. Si le très sec No comprende sonne comme du Low première période, que dire de pop songs aussi légères et mélodiques que l'excellent What part of me ou The Innocents ? Le trio démontre ici une vraie capacité à rester inspiré et à se renouveler. Le désespoir conserve.
lundi 14 septembre 2015
The Queen is dead
Voilà un drôle de film. Malgré son format miniature (1h30), Queen of Earth risque d'en faire bâiller quelques-uns, qui trouveront ce long-métrage trop lent et oppressant. Pas faux et pourtant l'ensemble est quand même très réussi. Bon, des films traitant de dépression, de paranoïa et de folie féminine, on en a vu quelques-uns. Alex Ross Perry, le réalisateur n'échappe pas plus à ces références qu'il ne cherche à les fuir. On songe donc inévitablement à Persona de Bergman et Répulsion de Polanski, deux chefs-d'oeuvre des 60's, mais la comparaison s'arrête là. Queen of Earth possède sa propre esthétique et sa propre écriture, un poil barbante, grogneront certains. La dimension étonnante (et au final passionnante) du film tient beaucoup à ce tandem formé par les deux personnages féminins, deux amies réunies dans une maison au vert et qui se balancent des scuds dans la tronche comme jamais vous n'avez osé en envoyer à votre meilleur(e) ami(e). Troublant et dérangeant. Mais la fragilité est plus flagrante du côté de Catherine, sous le coup d'une séparation avec son amoureux et encore meurtrie de la disparition récente de son père. Réfugiée dans cette maison où elle se sent étrangère et hantée par le passé, Cat glisse peu à peu dans une paranoïa effrayante. Distillant un climat angoissant, le film garde heureusement jusqu'au bout sa part de mystère. On reste du début à la fin subjugué par l'interprétation d'Elizabeth Moss, qui justifie à elle seule le déplacement. Depuis Top of the Lake, on ne pouvait plus douter du puissant magnétisme de l'actrice américaine. Dans Queen of Earth, elle impressionne, dans un rôle casse-gueule, par son jeu aussi subtil qu'animal. Chapeau.
dimanche 6 septembre 2015
Une fille dans le vent
"La révélation espagnole de ce siècle". Pedro Almodovar en fait un peu trop lorsqu'il adoube ce second film de son compatriote Carlos Vermut. Globalement réussi, la Nina de Fuego n'est pas exempt de faiblesse : on lui reprochera surtout une certaine lenteur et un maniérisme parfois superflu, qui frise l'exercice de style. N'empêche : porté par la présence magnétique de l'actrice Barbara Lennie, qui campe un personnage génial et barré, le film se déploie au travers d'un labyrinthe narratif astucieux, où l'excentrique côtoie le glauque, dans un format à la fois classique et glacial. Les pièces du puzzle et les différents personnages, dans l'ensemble bien névrosés, finissent par se rassembler en un dénouement vraiment explosif. Pas dénué d'humour heureusement, la Nina de Fuego n'est pas le chef d'oeuvre annoncé, mais un bel objet de cinéma, qui au passage ravira les amateurs de cicatrices.
mardi 19 mai 2015
Le bruit et la fureur
Je suis Charlize. La formule est tirée d'un article de Jean-Marc Lalanne dans les Inrocks. Bien vu, tellement la figure de Furiosa (Charlize Theron, parfaite) irradie ce retour aux affaires de Mad Max, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il se sera fait attendre. Que pouvait-on espérer encore de George Miller en 2015 ? 70 piges, une filmographie assez déroutante (de Max aux Sorcières d'Eastwick jusqu'à ces drôles d'Happy Feet) et trente ans de surenchère numérique du côté des blockbusters survitaminés, qui semblaient avoir à tout jamais relégué dans un passé fossilisé la trilogie des Mad Max. Eh bien, non. Ce quatrième volet, Fury Road, porte terriblement bien son nom. Passé un premier plan à peu près paisible, c'est parti pour deux heures de pure folie, où Miller revisite à sa sauce très piquante le registre road-movie. On ne peut qu'être ébloui par la fulgurance de la réalisation et des scènes d'action, incessantes, qui laissent les personnages comme les spectateurs à court d'haleine. En filmant "à l'ancienne", Papy Miller redonne paradoxalement un furieux coup de jeune au film d'action. Même le scénario bas-du-front, qui tient en un tweet, s'avère assez audacieux de par son culotté revirement. Ultra-contemporain, dans son rythme virtuose comme dans son esthétique post-apocalyptique, Mad Max Fury Road brasse plus large qu'il n'y paraît : écolo, féministe, on comprend qu'il ait suscité l'énervement de quelques cyber-machos frustrés. La scène où Max cède son arme à Furiosa pour une dernière cartouche qu'il ne faut gâcher en aucun cas, est l'une des plus fortes du film. Et autant dire qu'elle ne rate pas sa cible.
mardi 12 mai 2015
Repozant
Un petit air de Zuckerberg, visage poupon à peine sorti de l'adolescence. La pochette de l'album, elle, rappelle vaguement Mezzanine, le chef d'oeuvre trip-hop de Massive Attack. Mais Gabriel Legeleux, alias Superpoze, DJ caennais de 22 ans, n'a sans doute pas besoin de ces comparaisons. Son premier album, Opening, impressionne par sa finesse et son sens de l'épure. Une electro qui ne lorgne pas du tout vers le dance-floor, s'assume introspective sans tomber dans le ténébreux. C'est beau, simple, à écouter non pas avec urgence, mais délectation.
dimanche 19 avril 2015
This dick ain't free
Soyons clair, je ne suis pas un expert en hip-hop et j'aurais du mal à rentrer dans les discussions, parfois infinies, sur comment et pourquoi Kendrick Lamar est le mec qui compte, le sens littéral ou tacite de ses lyrics, son look, ses pompes, etc. Il n'y a juste pas besoin de tout ce bagage pour tomber sous le choc de l'évidence : To Pimp a butterfly est une bonne petite claque musicale, qui fait mal là où ça fait du bien, un puzzle fascinant où s'agrègent des décennies de black music, rythmées par un flow bluffant de classe, à situer dans le très haut du panier west coast. Dès les deux premiers morceaux, Wesley's theory et For free ?, on plonge en apnée dans ce micmac musical virtuose, vite remorqué à la surface par le piquant single King Kunta. Mais on replonge aussitôt, emporté par la vague Lamar jusqu'à ce Mortal man, final étourdissant qui vient clore un projet ambitieux et impressionnant. Ambitieux, mais sans la prétention d'un Kanye West et la volonté de compliquer inutilement les choses. Hip-hop, G-funk, pop, soul et jazz, l'album brasse tout cela, enflammé par des textes engagés et subversifs, à l'image de la pochette du disque, qui représente Lamar et sa bande, bouteilles et liasses de billets à la main, la Maison Blanche en arrière-plan. Seul reproche s'il en faut un, des longueurs peut-être, mais on dira que c'est la nature foisonnante du disque qui veut ça.
dimanche 12 avril 2015
Pas vraiment un détail
Son livre, un court récit d'une centaine de pages, est sorti il y a deux mois environ. Marceline Loridan
-Ivens a 86 ans et c'est l'une des rares survivantes d'Auschwitz-Birkenau. A l'occasion de cette parution, on a pu la voir dans les médias, et notamment sur France Inter, témoigner sans fard de cette expérience qui a ravagé son existence et de sa désillusion face à un monde où obscurantisme et antisémitisme ont la vie dure. Le livre, conçu comme une longue lettre à son père déporté en même temps qu'elle, évoque bien sûr le quotidien inhumain des camps, mais raconte aussi la difficulté de revenir, l'impossible partage d'une vérité presque indicible, les marques irréversibles d'un drame qui pousse vers le suicide certains des membres de la famille pourtant pas déportés. Marceline Loridan-Ivens a survécu à tout cela, a fini par reprendre la vie à bras le corps, épousant le cinéaste et documentariste Joris Ivens et se consacrant tant bien que mal à d'autres causes. Dire qu'il faut lire ce petit récit relève de l'euphémisme. Bien sûr, ce n'est pas le premier texte qu'on lit sur la Shoah, mais à une époque où la mémoire semble faire défaut à beaucoup, ce n'est jamais un luxe d'écouter ceux qui ont réellement vécu l'horreur.
"Je n'aime pas mon corps. C'est comme s'il portait encore la trace du premier regard d'un homme sur moi, celui d'un nazi. Jamais je ne m'étais montrée nue avant ça, surtout dans ma nouvelle peau de jeune fille qui venait de m'imposer des seins et tout le reste, la pudeur était de rigueur dans les familles. Alors se déshabiller, pour moi, a longtemps été associé à la mort, à la haine, au regard glacé de Mengele, ce démon du camp chargé de la sélection, qui nous faisait tourner nues sur nous-mêmes au bout de sa baguette et décidait de qui vivrait ou pas."
mardi 24 mars 2015
Un peu las de A ?
Depuis plus de vingt ans, il est l'une des pièces maîtresses de ce qu'on aurait appelé une nouvelle chanson française, passerelle inespérée entre l'esprit indé/rock et la chanson à textes. Du minimalisme electro des débuts aux tourments de Remué, en passant par les fulgurances de L'horizon, son plus bel album, aux compositions orchestrées de Tout sera comme avant ou du plus récent Vers les lueurs, Mister A s'est décliné sur bien des formes, et pour la plupart époustouflantes. Alors, qu'est-ce qui fait que ce nouvel opus, Eleor, peine un peu plus à convaincre, séduit sans vraiment captiver ? C'est toujours assez pénible de chercher des noises à quelqu'un qu'on a tant admiré. De s'avouer que des mélodies qu'on voudrait renversantes tombent un peu à plat, que des textes n'habitent pas autant l'esprit que par le passé. Il y a bien dans cet album des compositions à la hauteur de maître A, du très réussi single Au revoir mon amour, à Une autre vie ou L'océan. Mais on ne sort pas de cette écoute sans l'impression un peu triste que cette fois, pour une fois, il est peut-être un peu passé à côté. Bref, vivement le prochain.
lundi 9 mars 2015
Birdman : BO barrée pour film perché
Etonnamment écarté de la course aux Oscars, Antonio Sanchez est le musicien qui se cache derrière l'incroyable BO de Birdman. Pas vraiment dissimulé, d'ailleurs, puisque le batteur de jazz apparaît à plusieurs reprises à l'écran durant les presque deux heures du film. Ceux qui ont succombé à la virtuosité cinématographique d'Innaritu le doivent aussi au travail remarquable de ce batteur mexicain. Ses improvisations free-jazz accompagnent et séquencent la narration d'une façon assez inattendue, parti-pris tout aussi original que bien des aspects de Birdman. Il fallait oser. Et au passage, Sanchez a saupoudré sa BO de quelques perles classiques, de Rachmaninov à John Adams. Stimulant.
mardi 3 mars 2015
Vous êtes suivis
Dans la galaxie très codée des films d'horreur, ces dernières années ont vu le succès de films jouant beaucoup du second degré (Scream and co) ou de projets marquant par le peu de moyens développés (Blair Witch, Paranormal activity, etc). Le succès critique et public d'un film comme It follows vient redonner un peu d'ampleur au genre et c'est tant mieux. Plastiquement très abouti, porté par la charismatique Maika Monroe, ce second long-métrage de David Robert Mitchell tient ses promesses. Centré sur un groupe d'adolescents, le film noue son intrigue autour d'un mal que ces jeunes se transmettent par le sexe. Une fois contaminé, vous êtes sous la menace constante de quelqu'un qui vous suit et ne vous lâchera pas. On a connu plus flippant, mais l'ensemble se tient bien, garde le spectateur en haleine et distille une ambiance à la fois glaciale et malsaine. Au final, un portrait métaphorique de l'adolescence qui vaut davantage que les frissons qu'il procure.
mardi 24 février 2015
Cinq bonnes raisons ou pas d'aller voir Réalité
1) On y rit, mais pas que. Dans la lignée de ses films précédents, Quentin Dupieux parvient à créer un climat absurde où le rire et l'étrange sans cesse cohabitent, un cinéma qui outrepasse les frontières sans jamais dire clairement où il se situe. Créant un petit mais délicieux malaise chez le spectateur.
2) La musique est ouf. Franchement, il fallait oser. Dupieux, alias Mr Oizo pour les amateurs de French touch, est allé chercher pour unique bande-son un extrait du très ardu Music with changing parts de Philip Glass. Un monument de la musique sérielle des seventies, potentiellement très soporifique malgré tout le respect dû au maître, mais ici distillé avec tact et sagacité.
3) Ce n'est pas du grand cinéma. Et tant mieux. Dupieux fait des bons films, pas des grands films. Ce n'est pas dire qu'il manque d'ambition, mais que cette ambition, cinématographiquement parlant, semble admettre ses limites. Des pièces absurdes, souvent plus proches de la série Z que du cinéma d'auteur, des trames insolites mais qui ne délivrent aucun grand message. De l'humour, mais même pas toujours pour faire rire. Habile.
4) Les images sont belles. La Californie est le cadre désigné des films de Dupieux, à la fois conforme aux clichés que l'on s'en fait et dans un léger décalage temporel. La lumière évoque plutôt les années 70, le stylisme on ne sait pas trop. Bref, c'est bien filmé, mais une fois encore un poil étrange.
5) Et puis bien sûr, il y a Chabat… Dans Réalité, il suffit qu'il apparaisse pour que sa présence chez Dupieux relève de l'évidence. Reclus dans sa caisse pour tenter de capter le meilleur gémissement du monde, il est tout bêtement immense. Rien d'autre à ajouter.
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